
Qui est Adana?
Adana est né sur une érablière à St-Sophie d’Halifax, aux alentours de Thetford Mines. À 19 ans, quelques jours avant de quitter le bout du rang 6 pour aller étudier l’ouverture d’esprit à Montréal, elle vit une agression sexuelle. Elle ne saura pas que c’est ça qui est arrivé. Ou bien elle le niera, incapable d’accepter la douleur d’être ce genre de fille-là. Sa honte lui tordra le ventre, mais elle accusera ses excès de nourriture d’être les coupables.
Anesthésiée de ses sensations corporelles, Adana croira que sa colère provient de l’extérieur; de l’impérialisme, du racisme, du sexisme et de tous ces concepts que l’Anthropologie lui apprendra. Son mal-être grandissant brouillera tout discernement et elle attrapera le pire virus de son temps: le cynisme. Ce n’est pas l’université qui lui apprendra comment gérer son anxiété face à la débandade de sa civilisation et d’elle-même. Alors qu’est-ce qui la guidera?
Parmi ses allers-retours entre la campagne et la ville, la découverte de l’anthropologie et sa blessure vive, l’histoire d’Adana nous plonge dans le quotidien tourmenté d’une après-agression.
Extraits
Chapitre 5. FÉminismes
« J’ai lu que les accidents de vélo sont fréquents ici, j’attends que mon tour vienne. J’ai aussi peur qu’un malade mental me saute dessus avec une tronçonneuse ou pire, avec son pénis. On ne sait jamais à qui on a affaire en ville. Un couteau à steak volé au à la Cage aux Sports de Thetford se trouve dans le fond de mon sac. Le monde sont fous dans grand ville, tiens ma fille, traîne ça avec toi. Oui maman. Telle une chouette qui hulule dans la nuit, je scrute les alentours, nous ne sommes jamais trop prudents. » p.69
Chapitre 6. Colonisation
« Le cours terminé, les élèves se lèvent à la hâte. On nous enseigne que notre existence a été bâti avec le sang des esclaves, l’exclusion, le génocide et l’assimilation des peuples autochtones. On nous parle de violence, d’exploitation. Puis, comme si de rien n’était, on nous renvoie lire sur les dérives de nos cultures, seuls dans nos appartements, seuls avec nos questionnements et nos angoisses. Voyons donc! Comme le métro est reparti ce matin – d’un coup brusque qui requiert un amortissement des cuisses – les étudiants quittent, pressés d’aller s’asphyxier dans leur solitude. Je déteste le temps! Serré, ajusté, une fois que la minuterie sonne, on doit se lever et aller boire notre café, produit dérivé de l’accaparement des terres en Afrique justement! Je capote ma vie. Je dois être folle. Ça doit être moi qui ne comprends pas encore, qui n’a pas saisi comment gérer mon impuissance face aux inégalités. Personne ne m’apprend à gérer mon anxiété concernant la souffrance planétaire. Par contre, tout le monde m’apprend à bien fermer ma gueule et m’asseoir dans le moule. » p.79
Chapitre 7. Rituel
« – L’immensité de l’inconnu, Adana, c’est une vision qui va s’embrouiller au fil du temps. N’oublie pas que tout ce qu’on connait fut jadis inconnu. Laisse le temps te dévoiler ses mystères. Ce qui fait d’un endroit un allié, une compagne, ce sont les moments qu’on accumule et qui nous rentrent dedans, ce sont les émotions, les rencontres. Une ville, c’est rien sans les gens qui la composent, il faut simplement l’apprivoiser. Je suis sûre que c’est pareil chez vous.
Je l’écoute.
-Adana, va à la rencontre de ta peur. Va. Just go for it! La beauté de la vie, ça se passe dans ton dialogue avec ta peur. T’es pas venue sur terre pour que ta peur te paralyse le corps. T’es venue ici pour apprendre à danser avec elle. Tu vas voir, si t’oses l’approcher, elle va t’amener danser au sommet de tes ambitions. » p.95
Chapitre 9. Racisme
« Je suis jalouse d’une jeune enfant aux mitaines mauves qui a des années d’avance d’ouverture d’esprit. Si ma famille avait eu un chalet à Montréal, j’aurais pu venir m’aiguiser la boîte. Quel type de personne serais-je aujourd’hui si ma mère n’avait pas peur de conduire jusqu’à la métropole? M’aurait-elle emmenée à des manifestations comme celle d’aujourd’hui? Si j’avais été exposée à la diversité dès l’enfance, si la haine des religions différentes de la mienne n’aurait pas été postillonnée par ma famille les soirs de réveillon, si j’avais eu des amis de toutes les ethnies, est-ce que j’aurais besoin de faire un bac en anthropologie pour ouvrir mes horizons? Est-ce que dépenser 1 500 dollars par session pour retracer l’origine de mes préjugés et défaire les stéréotypes qui prévalent dans ma tête aurait été nécessaire? » p.101
Chapitre 10. 180 ans après le rapport durham
« -Comment ça tu penses encore autant à lui? Ça fait six mois que vous êtes plus ensemble, pense à autre chose.
Je chuchote. Papi est dans le salon. Je ne veux pas qu’il entende notre conversation.
– C’est facile à dire… J’aimerais ben ça, mais quand je pense à autre chose, je pense aux pesticides qui nous empoisonnent, aux déversements de pétroles dans nos aquifères, aux océans de plastique, aux communautés autochtones du Canada qui n’ont même pas accès à l’eau potable, pis après je repense à Antoine, parce que je trouve ça moins pire que le reste du mal du monde. Je capote maman. » p.114
Chapitre 12. Nationalisme
« Pour oser croire qu’on vaut quelque chose, il faut s’accrocher au fait que notre histoire a valu la peine. Qu’on soit né dans le purin, dans le bidonville ou dans l’amiante, on a un sentiment d’appartenance plus fort qu’une alerte au cancer. Personne ne veut être héritier d’assujettis. Nous voulons appartenir à une filiation de vainqueurs. Falsifier le passé, on le fait tous les jours quand vient le temps de se donner meilleure mine. Tout peuple a besoin d’un sentiment nationaliste fort pour s’aventurer dans l’incertitude de l’avenir. » p.129
Chapitre 13. Ontologie
« La prof ressemble à Pocahontas. Antoine l’aurait trouvée belle. C’était son genre, les femmes des bois. Quoiqu’elle soit née en ville… Ses racines la ramènent à la forêt. Ayoye Adana, tu ne peux pas dire ça. Vite, raye cette pensée. Pocahontas, c’est une fausse histoire inventée pour servir la propagande coloniale. Elle n’a pas sauvé le beau colon, elle s’est fait échanger comme une pure marchandise pour pacifier les échanges entre les Powhatans et les colons anglais! Pis c’est quoi ton ostie de rapport, Adana, de toujours voir la beauté des femmes en premier? Les femmes sont tellement plus que leur physique. Force-toi, Adana. Je te trouve conne. Antoine aussi me trouvait conne. C’est sûrement ce que je suis. Une conne. Une ostie de chance que personne ne lit dans ma tête. Je suis pleine de préjugés et de mauvaise foi. » p.141
Chapitre 14. Intersubjectivité
« Produire, produire produire
Être fatiguée
Se demander quand ça va finir
Censée être pleine d’énergie.
La vingtaine,
Fontaine de jouvence,
Mon cul. » p.167
Chapitre 15. Relativisme culturel
« Je nous souhaite donc du courage, car les sombres douleurs enfouies sous terre remontent présentement à la surface. Il nous faut se salir et passer par-dessus l’inconfort.
Il est temps pour le viol d’être déterré et donc guéri. » p.187
Chapitre 16. Agentivité
« Une séance de frotti-frotta est une manifestation de l’union entre deux êtres. Nous sommes connectés durant l’acte, nous sommes un canal d’échange d’énergie. Dans ce contexte là, ça ne doit pas te remplir de bonheur de swigner ton sexe mécaniquement pour éjaculer. Te vider les couilles ne te remplira pas d’amour si ta partenaire n’est pas into it. Tu m’as jetée comme un vieux Kleenex plein de sperme nettoyé à même mon nombril. » p.197